Rubriques

mercredi 15 juillet 2020

TRUST : L’élite (1979)

Formation :
Bernie Bonvoison : chant
Norbert Krief « Nono » : guitare
Raymond Manna : basse
Jean-Emile Hanela : batterie








Formé en 1977 autour de Bernie Bonvoisin et de Norbert « Nono » Krief, Trust sort dès le début 1978 son premier 45 tours « Prends pas ton flingue » mais très vite le groupe quitte Pathé, qui a déjà dans son écurie Téléphone, pour signer chez CBS. C’est le début de l’aventure Trust, je dis aventure car en 2020 on a du mal à se rendre compte de la popularité – énorme – qu’avait le groupe il y a 40 ans.

Le premier album de Trust sort en 1979 (dans un premier temps appelé Trust puis depuis régulièrement rebaptisé « l’Elite » pour le différencier du Trust IV) et est également l'un des deux albums phares du groupes avec « Répression ».
A cette époque le hard rock français est proche du néant, c'est le quasi désert hormis d'anciens groupes comme Ganafoul et Shakin’ Street, d'autres qui galèrent pour sortir leur album (Voie de Fait, Océan) et ceux qui arrivent à peine (Warning).
Apprécié des hard-rockers mais aussi des punks (et à l'époque c'était rare), notamment par des textes que n'auraient pas renié les groupes punks de l'époque tels Metal Urbain et par un état d'esprit tourné vers la révolte.

De fait Trust mixe deux influences évidentes : le hard mâtiné de blues à la AC/DC et la vague punk qui vient de déferler 2 ans plus tôt.

Les paroles sont dénonciatrices, sociales, revendicatrices et vindicatives, chose à l’époque rare dans le rock français hormis chez quelques groupes punk. Des hymnes à la rébellion à une époque où le rock savait encore faire entendre sa voix.

Plusieurs titres phares typiques du Trust de l'époque (musique ravageuse et paroles politisées) : « Préfabriqués » « Bosser 8 heures » « L'élite » « Police Milice ». « Toujours pas une tune », « H&D ») , ce sont également les meilleurs morceaux de l'album, les chansons qui ont contribué au style Trust et a créé leur marque de fabrique.
C'est rapide, ravageur, agressif aussi bien grâce aux riffs de Nono que par la voix de Bernie qui sans être extraordinaire fait figure de machine à slogans !

« Palace » et surtout « Le matteur » (avec son saxophone) sont différents du Trust habituel mais néanmoins bons (surtout Palace).

Mais même quand les paroles se font moins politiques le côté provocateur n’est jamais très loin.
La reprise d'AC/DC « Ride on » est tout à fait correcte même si ce n'est pas un de mes titres préférés.

Toutefois à l'inverse du second album (« Répression ») plus compact et d'une grande cohésion, le premier album comprend quelques (2 ou 3) titres un peu plus faibles faibles (« dialogue de sourds » un peu trop confus malgré son côté punk et « Comme un damné »).
Malgré tout on peut considérer que grosso modo les deux albums sont de valeur équivalente, même si, plus abouti, j’ai une petite préférence pour "Répression".


« Marche ou crève » le troisième album reste à un niveau acceptable puis à partir du « Trust IV » le groupe va alterner les hauts et les bas (plus de bas que de hauts malheureusement), arrêts, reformations avec quelques albums inégaux...tout en demeurant toujours un groupe redoutable sur scène.


Et Trust reste à ce jour la référence du hard français, le groupe qui a réussi à être invité au début des 80s à des festivals anglais tels Reading et qui a connu un certain succès outre-manche, succès qui a été ensuite remis au goût du jour par Anthrax groupe phare du thrash metal américain et qui a eu la bonne idée de reprendre Antisocial et Les sectes, ce qui a permis à nos frenchies de toucher une nouvelle génération de hard-rockers, mais toujours est-il que 40 ans après Trust attend toujours son successeur...

Edgard Winter : Entrance


Entrance" - Edgar Winter - Rock Fever

Dans le studio où ils enregistrent second Winter, John et Edgar sentent qu’ils sont en train de réussir un gros coup. Les deux hommes récoltent les fruits d’un parcours initiatique qui les mena au cœur du blues. Edgard se souvient encore de son arrivée à Jewtown , refuge des esclaves libérés de leur servitude, et qui est devenu la nouvelle place forte du blues. C’est là que d’ex musiciens d’Howlin Wolf croisèrent la route du Paul Butterfield Blues Band. Avec l’arrivée de jeunes blanc becs fascinés par la musique afro américaine , Jewtown était devenu le second coup porté à la ségrégation raciale.

Accompagné par les ex musiciens d’Howlin Wolf , Butterfield crée un blues métisse , fruit de la rencontre entre la pop et le blues. Avec second Winter , les frères terribles du blues moderne produisaient l’aboutissement de cette démarche , le blues électrique le plus puissant et pur. Les hard rockers commençaient à conquérir le monde , mais ils représentaient déjà une sorte de post blues, une musique qui déformait ses références jusqu’à les rendre méconnaissables. Les Winter étaient d’une autre trempe, il jouaient le blues avec l’énergie du  rock , savaient être véloce sans détruire la tradition.

C’est d’ailleurs ce que le public salua, lorsque Johnny Winter vola la vedette à led Zeppelin, lors d’une performance impressionnante. Cet albinos virevoltant incarnait le rock dur , énergique , mais n’entrait pas dans les gimmicks pompeux du groupe de Jimmy Page. Les riffs étaient rapides , secs comme un coup de trique , et tranchants comme ceux de Johnny Be Good ou Roll over Beethoven. Cantonné derrière son clavier, Edgar sent qu’il est temps qu’il sorte de l’ombre de son flamboyant frère.
                                                                          
Multi instrumentiste talentueux , le cadet de la fratrie enregistre seul son premier album. Nous sommes alors en 1970 et,  ramolli par les rêveries de King Crimson, le jazz rock est devenu un édredon magnifiquement alambiqué. De soft machine à Caravan , en passant par Camel et Zappa , le free jazz est désormais un jouet pour virtuose avant gardiste. Entrance remet le jazz au pas , ravive son swing et le met de nouveau au service du blues rock.

Le loup entre sournoisement dans la bergerie, Edgar flatte les oreilles élitistes pour mieux les détourner. Le titre d’ouverture donnera d’ailleurs des idées à Todd Rundgren , qui s’inspirera de cette mélodie pour créer la soul martienne de « a wizard a true star ». A partir de cette introduction délicate, Edgar hausse progressivement le ton, le rythme s’accélère doucement jusqu’à l’explosion finale. On a progressivement l’impression de voir Coltrane danser avec BB king sur des rythmes dignes de Bo Diddley.

Avec ce disque, Edgar fait au rock progressif  ce que son frère fit au hard rock , il le ramène sur terre. Entrance, c’est la proposition d’une voie qui est novatrice sans être élitiste, traditionaliste sans verser dans le fondamentalisme stérile. Le Jazz et le rock montraient une nouvelle fois qu’ils dépendaient du rythme, cette force mystique capable de faire naître le mojo.

Servie comme une longue suite de 23 minutes , la première face montre un musicien luttant sans relâche pour maintenir son énergie de moins en moins contenue. Ce premier acte, c’est l’anti prog par excellence, le renversement des principes établis par Robert Fripp. Ici , on part de loin pour revenir au bercail , on développe ses délires pop jazz avant de démontrer qu’ils n’étaient qu’une nouvelle version de totems vénérés.  

C’est un peu comme Soft Machine devenant progressivement un groupe de néo Jazz , mais il leur fallut 5 albums pour effectuer cette mutation. Le rock était pour Edgar ce que le jazz fut pour soft machine. Il était déjà dans l’ADN des premières minutes de entrance , il suffisait à Edgar de libérer sa fougue progressivement.

Entrance est un disque unique dans sa discographie, il se tournera ensuite vers un cocktail plus conventionnel de rock , jazz et soul. Sa vraie nature ne pouvait sans doute pas être contenue plus longtemps, tout était de toute façon dit ici.

lundi 13 juillet 2020

Don Covay : The House of Blue Light


The House Of Blue Lights | Discogs

Fils de pasteur , Don Covay se tourne naturellement vers le gospel. A une époque où la pop commence à s’épanouir, il quitte vite ses chants pieux pour surfer sur le succès du doo woop. C’est ainsi qu’il forme son premier groupe, the rainbow , et est récupéré par le label stax. Il découvre toute une série d’artistes ayant la même culture musicale que lui, des artistes nourris par le gospel et le blues. Parmi eux, Little Richard l’embauche comme chauffeur, avant de le choisir pour effectuer la première partie de ses concerts.

Le pianiste moustachu est un demi dieu, celui qui apporta le rock n roll au monde. Influencé par son patron, Covay joue une musique plus proche du rythm n blues , il renoue avec ses racines. Après tout, Little Richard n’a fait que prendre le blues, le jouer à une vitesse affolante, et servir le résultat à une jeunesse qui n’attendait que ça.

Cette expérience lui apprend aussi comment écrire une bonne chanson, et l’élève dépasse vite le maître. « Pony Time » devient un classique grâce à l’interprétation de Chubby Cheker , et Wilson Picket pioche régulièrement dans ses inventions géniales. Encouragé par le succès que ses titres procurent aux autres, Don Covay décide de les porter lui-même. Il s’accompagne donc d’un autre ex musicien de Little Richard, qui n’a pas encore adopté son look de voodoo child. Hendrix n’est personne quand il pose sa guitare sur le « mercy mercy » de Don Covay , juste un clin d’œil de l’histoire à son fils maudit.

Little Richard avait renvoyé le jeune Hendrix par peur que celui-ci ne lui fasse de l’ombre, l’avenir lui donnera raison. Alors que celui qui jouait humblement de la guitare sur un de ses titres se prépare à conquérir le monde, les deux premiers albums de Don Covay sortent dans l’indifférence générale.

Dégouté , Covay se cache de nouveau derrière les grands noms de son label. Ottis Redding , Aretha Franklin , les artistes les plus prestigieux du label atteignent un nouvel âge d’or grâce à lui. Don Covay n’a pourtant pas abandonné tout espoir et , dans l’ombre de ses interprètes , il prépare ce qui restera sa grande œuvre. L’époque semblait appeler sa musique, le modernisme qui le mit à terre était mourant.
                     
La fin des sixties est marqué par un atterrissage de la génération psychédélique , qui ne jure plus que par la profondeur des grandes musiques américaines. Les frères Allman ont allumé un brasier dont les premières braises furent attisées par la génération peace and love. American beauty , hot tuna , sweetheart of the rodeo, correspondaient à la même réaction affolée d’un rock qui commençait à perdre pied. Ceux qui voulaient inventer de nouveaux sons rêvaient désormais de folk bucolique, de country mélodique, et de blues rythmés. Les anglais vivent le même bouleversement à travers le retour aux sources des stones.

 The house of blue light fait plus que suivre ce retour à la terre, il le réinvente. C’est un disque visionnaire, un hôtel qui sera ensuite largement pillé. Placé en ouverture, « key to the highway » est la révélation qui illuminera la carrière d’Eric Clapton. Ce n’est pas pour rien que son super groupe, Derek and the dominos, reprendra ce titre sur l’album Layla. La version de Covay contenait déjà le groove bluesy qui fera la grandeur de Layla and other assorted love song.

Un peu plus loin, but I forgive you montre le chemin aux stones. Ce boogie blues gras est le modèle sur lequel le groupe de Keith Richard calquera une bonne partie d’exile on the main street. On peut d’ailleurs presque voir dans cette pop bluesy une version plus cohérente du monument stonien.

Sommet de l’album , le morceau titre est le seul morceau que les pillards anglais ne pourront s’approprier. Ce blues spirituel fait le lien entre le psychédélisme mourant et le nouveau blues à venir, les dernières traces des rêves passés et la beauté terreuse du futur. L’avenir était déjà là, radieux, mais se sont encore les autres qui en récolteront les fruits.

House of blue light fait donc un bide, et il ne faudra que quelques mois pour que des versions frelatées de sa splendeur pop blues atteignent le sommet des charts. Résigné Don Covay finit par mettre définitivement son talent au service des autres, négligeant une carrière qui ne veut pas décoller, pour devenir directeur artistique de Mercury record.

Il avait de toute façon tout dit, et préférait le statut de génie incompris à celui de looser désespéré.       

jeudi 9 juillet 2020

John Coltrane : Blue Train


Blue Train: Coltrane, John: Amazon.fr: Musique

Dans l’Amérique de la fin des années 40 le jazz est encore la musique la plus populaire, celle qui illumine les bars et enchante les passants égarés. Il y’a des années, le be bop a inventé le swing , et il réinvente cette découverte à chaque improvisation scénique. Pourtant, en ces années d’après-guerre, un gamin fait beaucoup parler de lui. Les anciens l’ayant croisé parlent avec dégoût de ce « crétin », tout juste capables d’enchaîner trois accords correctement. Les vieux bluesmen étaient aussi attardés que ce Chuck Berry, mais en se mettant à l’électrique ils ont créé un son qui menace leur bastion.

C’est ainsi que démarre un affrontement entre la tradition établie, et l’expression d’un vent de liberté qui souffle sur la jeunesse américaine. Considéré comme un jeune plein de promesse, Miles Davis veut croire à la survie du be bop. Pour lui, sa voie est toute tracée, il lui suffit de caler ses pas dans les traces des grands pionniers. Il deviendra ainsi le prochain maître du swing originel, le nouveau maestro d’un art ancestral.

C’est dans cet esprit qu’il monte son premier big bang, le Miles Davis Quartet, et commence à inonder le monde de son jazz raffiné. Tout allait bien, les mélodies somptueuses s’écoulaient comme l’eau bénite d’un torrent merveilleux, mais une telle alchimie ne pouvait durer. Accro à l’héroïne et alcoolique notoire , John Coltrane met en péril ce précieux équilibre , et Miles n’hésite pas à le virer sans ménagement.

Livré à lui-même, Coltrane retourne chez sa mère, où les textes religieux l’aident à se débarrasser de la « cold turkey ». De cette aventure naît « a love supreme » , que l’on peut considérer comme la renaissance de sa période symphonique. La spiritualité de Coltrane illumine les mélodies enivrantes de « love supreme » , elle représente pourtant les dernières merveilles d’une tradition qui se meurt.

Honnie par les maîtres de Miles Davis , la popularité du rock ne cesse de croître , incitant les meilleurs critiques musicaux à se recycler dans ce courant en pleine explosion. Englué dans sa tradition, le jazz devient un totem du passé, une vieille beauté honorable mais qui a perdu toute sa fraîcheur. C’est dans ce contexte que Coltrane commence à développer sa personnalité musicale. Invité à jouer avec Thelonious Monk , il pose les bases de ses cascades de notes , son jeu déchaîné rivalisant avec l’excentricité du pianiste.

C’est à ce moment que Miles Davis le rappelle pour faire partie de son nouveau projet. Conscient que le jazz doit se réinventer, Miles crée des partitions sobres et épurées , oblige ses musiciens à se limiter à un jeu primaire, pour régénérer l’excitation du jazz. Si cette sobriété frustre un Coltrane qui s’épanouissait dans ses délires excentriques, elle lui montre paradoxalement qu’il est sur la bonne voie. Avec « kind of blue » Miles dotait le jazz de la simplicité du rock, initiant ainsi une fusion qui pouvait être vue autrement.

Davis ramenait le jazz à plus de sobriété, Coltrane va au contraire le rendre plus excentrique. Dans le studio où il enregistre blue train , le batteur imprime un rythme binaire , swing hybride aux frontières des musiques afro américaines.  On entrevoit d’abord un blues cuivré, un torrent de notes où copulent jazz et blues rock . C’est aussi un free jazz funky, les notes dansant parfois sur un rythme de fête, que Sly and the familie stones ne manquera pas d’accentuer.

Blue Train est un de ces disques dont la créativité déborde sur tout ce qui le suivra. Zappa s’en nourrira pour faire renaître ce jazz qui «  a une drôle d’odeur » , les anglais y calqueront leurs rêves psychédéliques , et le blues y trouvera une nouvelle splendeur chaleureuse.
   

mercredi 8 juillet 2020

SKIPPIES : World up (1993)


FORMATION:

Frédéric Gransart : chant
Patrick Sourimant : basse, chant
Fred Désille : guitare
Mik Prima : guitare
Philippe Lorand : batterie




Ah le rock français des années 90, souvent décrié mais il a sorti de bons groupes : les Thugs, Condense, Dirty Hands, Sloy (également des rennais), Drive Blind ou dans un autre style Dazibao, Kill The Thrill, Marousse et évidemment les fers de lance Mano Negra et Noir Désir... avec le recul on voit que tous ces groupes avaient de la gueule et du talent.
Avec Skippies, groupe rennais formé en 1990 et dont « World up » est le premier album, on est plus dans la lignée des Thugs ou de Dirty Hands.
Le groupe surfe sur la vague grunge, punk mélodique à la mode dans les années 90. Musicalement on est assez proche de Therapy les deux groupes ayant d’ailleurs partagé le même producteur.

Entre rock alternatif, power-pop et punk rock ; assez typique d'un certain rock français de cette époque et on remarque que le groupe utilise un peu les mêmes recettes que pour les Thugs : une musique énergique, pop/rock survitaminé (globalement plus mélodique que pour lesThugs) des voix claires (et là aussi des choeurs bien en place) et des mélodies travaillées avec des refrains qui restent dans notre tête après écoute. Là c’est Patrick Sourimant le bassiste qui tient le rôle de deuxième chanteur.


« World up » contient quelques petits bijoux : « Get it out » est une très bonne mise en bouche mais ça s'emballe à partir de « Care » et les morceaux qui suivent sont dans la même lignée : « Someone » (dont on peut qualifier l'intro de Nirvanesque, mais attention le groupe est davantage influencé par le punk mélodique australien The Saints, Radio Birdman, et plus récents les Hard-Ons, d’où leur nom d’ailleurs), le plus mélodique mais magnifique « She said »  mais également « Smart ass » et « So fine ». Energie et mélodie. Agressivité et finesse. Le tout avec plein de spontanéité (mais aussi la naïveté qui va avec mais qui donne un côté très sympa au groupe et à l’album), de l’énergie à revendre.
Bondissant comme des kangourous, ça reste finalement assez « léger », et c'est tant mieux !

Car si cet album n’a pas la prétention d’inventer quoique ce soit l’ensemble n’en demeure pas moins remarquablement exécuté.
« I need to fly » est quasiment la seule fausse note (avec la voix qui part en c....).
Des mélodies dignes des meilleurs groupes du genre, un groupe français qui aurait mérité mieux qu'un simple succès d'estime, reçu le plus souvent à titre posthume.


L'album suivant « Massive » est également intéressant, plus abouti, mieux construit (produit par Martin Bisi qui a travaillé avec Sonic Youth, Helmet, Unsane, Cop shoot Cop ou Swans, excusez du peu !!) mais avec toutefois un peu moins de charme et au final un peu moins bon... puis Skippies tirera rapidement sa révérence.
Et il y a peu le label Nineteen Something a eu la bonne idée de rééditer les deux albums du groupe.

Jack White 8


Une foule d'invités est de nouveau réunie devant le third man studio. Une pancarte annonce un événement exceptionnel, le vinyle le plus rapidement enregistré du monde sera pressé ce soir. Cet album immortalisera une des premières prestations de Jack White en solo , et on entend déjà le bourdonnement des machines, derrière le mur séparant la salle de concert du studio. Vêtu d’un costume bleu , Jack se présente accompagné d’un groupe exclusivement féminin. Nommé « the peacock » , la formation représente le coté le plus apaisé de sa musique. Les mélodies s’enchaînent , la pop se marie de nouveau avec la chaleur du bluesgrass , et on aurait bien écouté ce groupe des heures, si le maître de cérémonie n’avait annoncé l’entracte.

Il revient donc avec un autre groupe, entièrement masculin, et s’embarque dans la partie la plus tendue du show. Le changement de décor est radical, ce second acte est un déluge dévastateur , l’éternel retour à la fougue de Détroit. Entre les mains nerveuses de ce nouveau groupe , cut like a buffalo est désossé, pour n’en garder que la puissance schizophrène de son riff sanglant, « my dorbell » devient un rock destroy digne des pires sagouins punks.

En un peu moins d’une heure, plusieurs exemplaires du live sont pressés , et vendus à une foule ravie. Encore distribué aujourd’hui , le live at third man est un vinyle hautement recommandable , il immortalise la naissance du Jack White post white stripes. Coup de maître, qui lui permet aussi de faire la promotion de ce vinyle qu’il considère comme « l’avenir de la musique », ce concert est suivi d’une nouvelle période de discrétion.

Neil Young vient toutefois visiter le studio de ce savant fou de la musique enregistrée, et y grave un disque moyen. Peu importe sa qualité , la rumeur entretenue par l’annonce de l’enregistrement de « a letter from home » permet à Jack de rester dans le coup. Ce genre de coup de communication lui permet de soigner sa prochaine sortie, tout en entretenant sa notoriété. Fruit de plusieurs mois de travail, Lazaretto  sort donc dans le meilleur contexte possible. Le disque est une nouvelle fois promu grâce à la puissance d’un riff , celui de son morceau titre.

Envoyé en avant-première, Lazarreto est doté d’un riff chromé, qui semble annoncer le futur de la guitare électrique. C’est Hendrix plongé dans un décor de science-fiction, le beat urbain remplaçant le jungle beat. Il montre surtout un disque qui s’inscrit dans la droite lignée de blunderbuss , un homme qui parvient à maîtriser sa nouvelle inspiration sans atténuer sa fraîcheur.  En poursuivant cette voie , Jack White espère encore que d’autres exploreront ces décors inédits , mais encore une fois la vague ne se soulèvera pas.

On peut le regretter, mais cela n’enlève rien à la grandeur de ce disque. Après tout, parvenir à prolonger le chemin tracé par blunderbuss avec autant de brio est déjà un exploit qui mérite d’être salué.  D’autant que cette réussite encourage Jack à reprendre en main un autre projet, les dead weather.

Artiste assez discret depuis quelques années, le voilà qui nous gratifie de deux disques en moins de deux ans. C’est que Blunderbuss a annoncé le début d’une période de clarification, un moment fondateur où Jack définit ce que sera la suite de sa carrière.

Il est donc logique qu’il rectifie la trajectoire des dead weather, ce groupe qui semblait chercher sa voie sur « sea of coward ». Dodge and Burn sort donc en 2015 , et s’affirme vite comme le road trip malsain qui fixe le son du groupe.

On retrouve ainsi cet electro rock glauque, parcouru par les ambitions modernistes de son batteur. Le disque doit surtout sa grandeur à la grande forme d’Allison Mossart , dont les hurlements macabres n’ont jamais parus aussi séduisants. Les chœurs la rejoignent parfois, le temps de refrains qui sont autant de clins d’œils fait aux radios. Entre pop malsaine, rock primaire flirtant avec la sauvagerie d’un Ty Segall , et rap rock conquérant, dodge and burn est le disque d’un groupe qui assume ses rêves de gloire.

Le résultat, sans atteindre le niveau des albums solos de Jack, est une réussite enthousiasmante.

Aujourd’hui , Jack White est devenu un explorateur incompris. Sorti en 2018, boarding house reach a été vu comme l’égarement d’un artiste perdu dans ses ambitions avant-gardistes. On a refusé de comprendre que cette folie robotique était le grand aboutissement des deux disques précédents. Ce barnum synthétique, c’était une nouvelle tradition poussant ses premiers cris , l’équivalent moderne de la déflagration des sixties.

Le succès du dernier album des raconteurs , sorti un an plus tard , montre cet immobilisme contre lequel Jack White doit en partie lutter. Le public tient à sa zone de confort, et un disque comme help us stranger sera toujours plus salué que l’originalité de son dernier album solo. Ces deux facettes de sa musique sont primordiales, mais espérons que l’une ne finisse pas par prendre le pas sur l’autre.   

lundi 6 juillet 2020

Jack White 7


Boarding House Reach: Jack White, Jack White: Amazon.fr: Musique

Sea of coward sort quelques mois seulement après horeround , s’inscrivant ainsi dans une continuité que l’hyperactif Jack White n’avait plus montré depuis des années. Nous sommes en 2010 et, alors que le disque sort, le public n’a d’yeux que pour under great northern light. Premier et seul live des White Stripes , l’enregistrement permet aux fans de croire au retour d’un groupe de plus en plus discret.

Si cet engouement éclipse la sortie de Sea of coward , on ne peut réellement regretter que ce disque soit passé aux oubliettes. En prolongeant le rock macabre de horeround , sea of coward en a émoussé le tranchant. Le groupe est désormais bien en place, chacun a pris ses marques , et les vieux réflexes tuent l’originalité de sa musique. Premier fautif, Dean Fertita a pris ses aises, et sa guitare prend largement le pas sur les décors sombres mis en place par le synthé.

Résultat, dans ses moments les plus violents , les dead Weathers ressemblent presque à ces groupes, qui réadaptent le heavy rock de black sabbath. Dans les passages plus posés, seule la voix caverneuse de Mossart empêche blue blood blues ou die by the droop de rejoindre le rang des puristes du heavy blues.

Seule la jam electro rock de « I’m mad » renoue avec les décors fascinants de horeround. Le titre nous fait redécouvrir ce mysticisme violent, la voix de Mossart entre dans un chaos électrique cauchemardesque, un blues de démon. Pour le reste, le groupe rentre dans le rang, accentue ses riffs bluesy pour rassurer la masse, et se met ainsi au niveau d’une concurrence qui ne lui arrivait pas à la cheville.

Hors , ce passé semblait enfin derrière nous , et tous voulaient encore croire que le rock populaire et frais représenté par Jack White n’était pas mort. C’est pour cela que under great northern light a éclipsé sea of coward . Le premier représentait le triomphe d’un groupe ambitieux, alors que le second sonne comme un aveu d’impuissance.

Le désastre que tous redoutait finit tout de même par arriver en 2011 , lorsque la séparation des whites stripes est officialisée. Le groupe était le dernier à représenter le rock au sommet des ventes, la dernière tête d’affiche d’une culture qui commence à s’enterrer. Sans eux, le rock avance comme un canard sans tête, les groupes se multiplient mais leur popularité reste limitée.

Paradoxalement, la fin du succès des White Stripes est aussi une libération, elle permet à Jack White de repartir de zéro. C’est ainsi qu’un tube venu de nulle part envahit les radios et chaînes musicales , que les bars diffusent ce nouveau riff avec le même enthousiasme que seven nation army ou Steady as she goes. Jack semble être le dernier à pouvoir pondre un riff pareil, une telle décharge transmettant le rock à une nouvelle génération.

Sixteen saltine est le riff qui ouvre cette nouvelle décennie, un swing urbain ultra moderne, le blues du futur. Son énergie irrésistible permet à blunderbuss d’être apprécié à sa juste valeur, il permet à ce premier essai novateur d’obtenir des ventes plus qu’honorables. Lassé de voir le rock ressasser son passé, tout en s’étonnant de regrouper un public vieillissant, Jack White réinvente les vieux repères.

Freedom at 21 et take me with you when you go donnent une nouvelle jeunesse au psychédélisme. La country devient un spleen urbain, une pop bardée de violons accédant à une nouvelle jeunesse. Même le blues hypocritical kiss est soutenu par un beat effréné, des percussions chromées montrant au hip hop ce que peut être la grandeur du groove urbain. Cette modernité, blunderbuss se la réapproprie, il accomplit un travail d’assimilation que le rock n’a plus effectué depuis les seventies. Symbole de cette régénération , « Weep themselve to sleep » est un spoken blues qui fait passer le rap pour un gargouillement de crétins attardés. Même « I’m shakin » , qui est une reprise d’un vieux rock n roll , sonne comme un tube capable de faire danser tous les gangsters de Harlem.   

Blunderbuss est aussi essentiel que le fut electric ladyland , il montre aux rockers un nouveau plan pour conquérir le monde. Rock du 21e siécle , pop chaleureuse réinventant son héritage , blunderbuss aurait dû être le début d’un raz de marée. Chacun aurait alors tenté de transcender cette fraicheur pop, reprenant à sa sauce cette modernité comme leurs ainés tentèrent de créer leur « revolver ». Mais notre époque n’a pas su créer ses Stones et autres Beach Boys , elle ne parvient pas à reproduire un foisonnement qu’elle ne peut que regretter.

Blunderbuss est donc la brillante base à partir de laquelle Jack White cherchera une formule capable de sortir le rock de sa léthargie. Le début d’une quête solitaire qu’il effectuera lui-même dans une relative discrétion.